Bases pour une défense dans d’éventuels procès

« Le monde actuel a tellement été transcrit dans les images que l’on peut aujourd’hui lui trouver partout au moins deux propriétaires : celui qui en détient la propriété effective et celui qui possède les droits de l’image qui en a été tirée. De sorte que ce monde risque de devenir paradoxalement invisible si, aux simples droits monnayables de reproduction, s’ajoute l’exercice, par l’un ou l’autre de ces propriétaires, d’un droit de regard et de censure qui aboutirait vite à interdire de montrer ce monde, dans chacun de ses détails et donc dans l’ensemble, d’une manière qui ne soit pas apolégétique.

Interdire de réemployer tout ou partie des images existantes – dans une époque qui prétend attacher une place si éminente à cette culture qui lui fait si cruellement défaut – revient à retirer à un artiste le droit de citer, et le droit de remettre en jeu les données culturelles préexistantes ; à retirer à un critique de la « société spectaculaire » le droit de montrer ce dont il parle.

Par ailleurs, l’auteur ne se réclame pas d’un statut privilégié qui serait reconnu à « l’artiste ». La critique du spectacle est aussi une critique de l’art. Mais l’art, pour être critiqué et dépassé, a d’abord besoin d’être libre. C’est la base de son statut juridique, depuis des siècles, dans les démocraties bourgeoises. La question est donc maintenant de savoir si le cinéma, comme la société actuelle le dit hautement, est de quelque manière un art. Ou bien s’il appartient seulement aux industriels et aux policiers. »

Extrait de la Lettre de Guy Debord à Gérard Lebovici, datée du lundi 13 novembre 1973, au sujet du film La Société du spectacle.

In Correspondance, volume V.